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Dans un centre du 13e, les migrants d'Austerlitz reprennent espoir

 

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Un centre géré par l'association Aurore, près du boulevard Masséna, a accueilli une trentaine de personnes évacuées du quai d'Austerlitz le mois dernier. Ils y ont rejoint des migrants expulsés de la Chapelle en juin. Les réfugiés se réjouissent de leur prise en charge, retrouvent de la dignité, mais attendent la régularisation de leur situation.

« Évidemment je suis content, c'est confortable d'être ici, mais ce n'est pas non plus ma finalité. » Fabrice, 17 ans en décembre, a passé deux mois au camp d'Austerlitz avant d'arriver au centre du Loiret, à deux pas du boulevard Masséna, le 17 septembre dernier. Ici, il bénéficie, comme promis par la préfecture lors de son évacuation (lire l'encadré), d'un lit le temps de ses démarches, de trois repas par jour, de l'aide de travailleurs sociaux et de l'OFII [Office français de l'immigration et de l'intégration, ndlr]. Le jeune Ivoirien se réjouit d'avoir quitté le bord de Seine et sa promiscuité : « On dormait à deux dans une tente, dans le froid, on était serrés, c'était dur. » Reconnaissant, Fabrice a retrouvé une forme de dignité, mais il veut aller de l'avant. Si cet orphelin a quitté son pays, traversé l'Afrique en bus, rejoint l'enclave espagnole de Melilla, se blessant au passage au bras après une chute de sept mètres, voyagé des mois durant, c'est pour refaire sa vie. L'équipe du Loiret compte bien l'y aider.

 

DE BONNES CONDITIONS D’ACCUEIL POUR UNE MEILLEURE RÉINSERTION

Ce centre d'hébergement d'urgence (CHU) de l'association Aurore a accueilli 66 migrants après l'évacuation du camp d'Austerlitz. Ils ont rejoint la trentaine de réfugiés arrivés en juin dernier après l'évacuation de la Chapelle. D'autres lieux en font de même dans l'arrondissement, Emmaüs porte d'Italie et la Mie de pain. Les conditions d'hébergement au Loiret sont plus confortables que la moyenne : pas de dortoirs, mais des chambres pour une à deux personnes seulement, munies de douche et sanitaires individuels.  Les résidents ont accès au wifi, à une laverie et à une salle de jeux pour les enfants. « Avec des conditions d'accueil dignes, les gens reprennent confiance en eux et sont dans de meilleures dispositions pour se réinsérer », vante le directeur du Loiret Bahattin Caliskan. Les personnes accueillies doivent signer un contrat de séjour qui les engage à respecter certaines règles, concernant l'hygiène, les repas, les équipements.

 

Aurore a investi ce bâtiment inoccupé de la SNCF, un ancien foyer de cheminots, en décembre dernier. Le centre a d'abord accueilli des couples et des femmes seules avec enfant(s) dans le cadre du plan grand froid. Puis une trentaine de Chibanis [ces travailleurs maghrébins venus lors des Trente Glorieuses aux retraites très modestes, ndlr] en février, des jeunes majeurs étrangers en mai, les migrants en juin et en septembre. Une population des plus hétéroclites. En tout, 205 personnes de 40 nationalités différentes (Afrique du Nord et subsaharienne, Moyen-Orient, Europe de l'Est, Asie centrale...) vivent dans cet immeuble de vingt étages. Une « macédoine », aime à dire Bahattin Caliskan. « Il serait faux de dire qu'on n'a pas de problèmes, développe le chef de service, mais on sait gérer les situations de crise. L'autre jour, un Soudanais a appris que toute sa famille avait été tuée, il voulait en finir, il a fallu le raisonner. »

 

 

ÉTABLIR UNE RELATION DE CONFIANCE

 

Ce bâtiment a été récupéré le temps que ICF Habitat, une filiale de la SNCF, se décide sur son usage. Le prêt pourrait prendre fin en mars. Mais personne ne sera laissé sur la touche, assure l'association, les résidents seront relogés ailleurs. Cela dit, personne n'a vocation à rester des mois durant, le Loiret reste un centre d'hébergement d'urgence. Seul un Chibani réside encore ici, les autres ont été transférés dans des logements autonomes ; plusieurs migrants ont rejoint des Cada [centre d'accueil des demandeurs d'asile, ndlr]. « On leur apprend à être dans la projection », confirme Bahattin Caliskan. Pour les aider, cinq travailleurs sociaux, comme Mohammed. Dès qu'un migrant arrive, il cherche à « comprendre sa situation administrative, savoir s'il a eu des rendez-vous en préfecture », établit une domiciliation. Tout l'enjeu est d’établir une relation de confiance. « Certains sont méfiants, on doit les convaincre qu'on va les aider. Dans la rue, ils donnaient de faux noms, de fausses dates de naissance aux services de police ou de préfecture. Ici, on leur explique que c'est dans leur intérêt de nous confier leur vraie situation », explique Mohammed.

 

La condition sine qua non pour rester - et en avoir la garantie : être dans une démarche active, une demande d'asile, de titre de séjour, une recherche de travail. Constantin, un Roumain d'une quarantaine d'années, est cuisinier de formation mais ne trouve pas de boulot. Il est arrivé en 2012 en France, a dormi trois ans sous une tente avec sa femme Madalina, avant d'atterrir tous deux ici en décembre. Constantin a bientôt rendez-vous au Pôle emploi, mais ne se fait pas trop d'illusions : « Même pour faire du ménage, je ne trouve pas. » Fabrice, lui, voit son avenir déjà tout tracé : « Suivre une formation pour travailler dans l'industrie portuaire. Mais pas comme docker, impossible avec mon corps de pigeon ! » Problème, sa situation n'est pas régularisée. Rejetée une première fois faute d'originaux prouvant sa minorité - il a depuis reçu les documents de Côte d'Ivoire -, sa demande de statut de mineur isolé étranger doit faire l'objet d'un recours. Le délai ? « Maximum un ou deux mois, explique Mohammed, le travailleur social. S'il l'obtient, il sera sous le régime de l'aide à l'enfance et pris en charge jusqu'à sa majorité. » Fabrice s'étonne que ça n'aille pas plus vite. « Des amis ont déjà repris les cours en Allemagne ou au Luxembourg », se désole-t-il. L'équipe est aussi là pour lui apprendre la patience. Bien nécessaire avec les lourdeurs administratives à la française.

 

 


 

 

17 SEPTEMBRE 2015, 6 HEURES, L'ÉVACUATION COMMENCE

Il était six heures du matin quand l'opération d'évacuation du camp d'Austerlitz a débuté, le 17 septembre. Un dispositif bien encadré. « Opération de mise à l'abri des réfugiés », les éléments de langage s'affichaient sur les badges des journalistes. Malgré le froid et l'heure matinale, les réfugiés étaient prêts, bagages à la main – une valise fatiguée ou de simples sachets plastiques. Ils avaient été prévenus la veille de leur départ pour des centres d'hébergement. Prévenus aussi, les journalistes, nombreux. Après des semaines ou des mois sur ce quai, cette décision faisait figure de délivrance. Le camp avait atteint au cours de l'été les 400 à 500 occupants. Les conditions de vie et d'hygiène s'étaient dégradées. L'opération s'est déroulée dans l'organisation et le calme. Pas de CRS en uniforme sur le quai, restés postés sur le trottoir de la rue, plus haut. Seuls les associatifs, des élus et les représentants de la préfecture se sont rendues au contact des réfugiés. Pas question de reproduire l'expérience de l'évacuation quelque peu anarchique de la Chapelle début juin. Ce dont les associations se félicitaient, tout en dénonçant pour certaines une opération de com'.

 

Publié par Philippe Schaller  le 19 Octobre 2015
 

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